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16 octobre 2020 - Anne-Sophie Gendronneau-Blin

Un assureur peut-il limiter géographiquement le champ d’application de sa garantie par voie contractuelle ? La Cour de justice de l’Union Européenne se prononce


Par un arrêt en date du 11 juin 2020, la Cour de justice de l’Union Européenne a admis la validité d’une clause de limitation géographique de garantie due par un assureur en raison des agissements de son assurée, estimant qu’une telle clause n’était pas contraire à l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne interdisant toute discrimination fondée sur la nationalité.

 

Les faits :

En 2006, une ressortissante allemande se fait poser en Allemagne des implants mammaires produits par la société PIP.

La société PIP, alors établie en France, produisait effectivement dans le cadre de son activité des implants mammaires, qui faisaient l’objet de contrôles réguliers par l’organisme TÜV RHEINLAND qui, pendant une dizaine d’années, a renouvelé les certifications de ses prothèses.

Parallèlement à ces contrôles, la société PIP avait souscrit auprès de la compagnie d’assurances AGF IARD, aux droits de laquelle vient désormais la société ALLIANZ, un contrat d’assurance couvrant sa responsabilité civile du fait de la production des implants, comme il est d’usage en la matière en France.

En 2010, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé découvre que la société PIP utilise en réalité dans ses implants un silicone industriel non autorisé. Cette dernière fait alors faillite et est liquidée.

Par la suite, le corps médical conseille à toutes les patientes portant des prothèses PIP de les faire retirer, ce que fait la ressortissante allemande susmentionnée, en 2012.

Puis, elle intente une action en réparation des dommages causés par la pose des implants mammaires défectueux devant un tribunal allemand. Elle met en cause le médecin ayant procédé à l’opération, l’organisme TÜV RHEINLAND et la société ALLIANZ, en tant qu’assureur de la société PIP qui n’existe alors plus.

Concernant la mise en cause de la société ALLIANZ, la requérante allemande estime en effet qu’elle dispose contre elle d’un droit d’action directe, en vertu de l’article L124-3 du Code des assurances français, qui dispose que « Le tiers lésé dispose d’un droit d’action directe à l’encontre de l’assureur garantissant la responsabilité civile de la personne responsable ».

Or, et ce qu’invoque la société ALLIANZ pour se défendre, c’est que l’une des clauses du contrat d’assurance précisait que la couverture d’assurance était limitée aux seuls dommages survenus en France métropolitaine et dans les départements et territoires français d’outre-mer. La société ALLIANZ n’avait donc pas, selon elle, à indemniser une victime dont le dommage était survenu en Allemagne.

La Cour allemande saisie va alors s’interroger sur la compatibilité d’une telle clause avec le droit de l’Union Européenne.

 

La problématique juridique :

La juridiction allemande pose à la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE) une question préjudicielle afin de savoir si la clause d’un contrat d’assurance prévoyant une limite géographique de garantie est compatible avec l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), qui interdit toute discrimination fondée sur la nationalité.

 

La réponse de la Cour de justice de l’Union Européenne :

Pour juger de la compatibilité de la clause du contrat d’assurance à l’article 18 du TFUE, la CJUE doit tout d’abord déterminer si cet article est bien applicable au cas d’espèce.

Selon sa jurisprudence constante, la Cour rappelle que pour que l’article 18 soit applicable de manière autonome deux conditions cumulatives doivent être remplies :

1°/ La situation à l’origine de la discrimination doit relever du champ d’application du droit de l’Union Européenne ;

2°/ Aucune règle spécifique prévue par les traités et visant à interdire une discrimination en raison de la nationalité ne doit trouver à s’appliquer, expression ici du principe bien connu selon lequel le spécial l’emporte sur le général.

Puis, la Cour énonce que pour que la première condition puisse être remplie (situation à l’origine de la discrimination relevant du champ d’application du droit de l’Union Européenne), deux « sous-conditions » doivent elles-mêmes être réunies :

1°/ La situation à l’origine de la discrimination doit faire l’objet d’une règlementation en droit de l’Union Européenne ;

2°/ La situation à l’origine de la discrimination doit entrer dans le champ d’application d’une liberté fondamentale prévue par le TFUE.

Or, au cas présent et à propos de ces deux « sous-conditions », la Cour va retenir que :

1°/ Dans ladite situation, il n’existe aucune disposition en droit de l’Union Européenne qui énonce, pour un fabricant de dispositifs médicaux, l’obligation de souscrire à une assurance de responsabilité civile visant à couvrir les risques liés à ces dispositifs ou qui régit, d’une manière ou d’une autre, une telle assurance ;

2°/ Au cas présent, ladite situation ne présente pas de lien de rattachement ni à la libre circulation des personnes, ni à la libre circulation des marchandises, ni à la libre circulation des services.

La CJUE en conclut que l’article 18 du TFUE n’a pas vocation à s’appliquer et ce sans même qu’il soit nécessaire d’étudier la seconde condition. Le droit de l’Union Européenne n’étant pas applicable au cas d’espèce, la clause de limitation géographique de la garantie due par l’assureur est valable. La société ALLIANZ n’aura donc pas à indemniser la requérante allemande.

 

Que peut-on retenir de cette décision ?

1°/ D’un point de vue juridique, la décision de la Cour est tout à fait cohérente. En effet, et en vertu du principe de subsidiarité, le droit de l’Union Européenne ne doit s’appliquer que s’il est établi que les États Membres eux-mêmes ne pourraient agir que de manière moins efficace. Le droit de l’Union Européenne n’a donc pas toujours vocation à s’appliquer et, au fil des années, la Cour a pu, à travers ses décisions, définir dans quels cas les droits nationaux s’appliquaient et dans quels cas le droit de l’Union Européenne s’appliquait, à travers des critères qui sont identiques pour chaque espèce, sauf évolution de sa jurisprudence. La décision rendue dans la présente affaire n’est donc pas juridiquement choquante, les assureurs restants libres au niveau national de prévoir des clauses limitant géographiquement leur garantie ;

2°/ D’un point de vue humain, la solution rendue s’avère en revanche beaucoup plus discutable. En effet, dans le cas de scandales sanitaires à grande échelle découlant de dispositifs médicaux défectueux où les victimes peuvent se trouver dans différents États Membres de l’Union, il paraît illogique que leur indemnisation puisse rester soumise à des lois nationales disparates et fasse l’objet d’un vide juridique au niveau de l’Union Européenne. Il nous semble qu’une intervention de l’Union dans un domaine si sensible serait la bienvenue, à tout le moins dans les cas où l’assureur du producteur resterait la seule entité solvable en mesure d’indemniser la victime ;

3°/ Cette décision qui semble donc juridiquement justifiée et humainement invraisemblable ne doit cependant pas être transposée à tous les domaines et à tous les cas d’espèce. En effet dans certaines branches, comme celle de la circulation des véhicules automoteurs, il existe une règlementation spécifique en droit de l’Union Européenne. On peut également aisément imaginer qu’un cas d’espèce autre puisse porter atteinte à une liberté fondamentale prévue par le TFUE, tellement ces atteintes peuvent prendre diverses formes. La décision de la Cour aurait alors pu être fondamentalement différente dans un autre cas de figure. Il reste donc nécessaire, malgré cette décision, de faire une étude au cas par cas afin d’évaluer la validité d’une clause de limitation géographique de garantie d’un assureur.

 

 

 

 

 

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AUTEUR

Anne-Sophie Gendronneau-Blin

Avocate

Le goût de l’esthétique.

« La séduction du vol réside dans sa beauté. Les aviateurs volent, qu’ils en aient ou non conscience, pour l’esthétique du vol. » Amelia Earhart (1897 - 1937)

Pour Anne-Sophie Gendronneau-Blin il y a de l’esthétique dans un bel outil juridique : bien conçu, bien écrit, un contrat est plaisant à lire et sera d’une exécution facilitée. Littéraire, elle attache une importance toute particulière à la rédaction grâce à laquelle la forme se met au service du fond. Après avoir occupé les fonctions de Privacy Specialist en Irlande, elle développe son sens du beau et du « bien fait » au profit des clients.

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