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6 juillet 2015 - Aurélie Desbordes

Procédure de référé-suspension et absence d’évaluation environnementale « cas par cas »

Décryptage de jurisprudence


En matière d’aménagement du territoire, les études environnementales ont montré leur caractère incontournable ces dernières décennies, qu’il s’agisse des études d’impact (réalisées au stade des projets) ou des évaluations environnementales (réalisées au stade des plans et programmes).

Cette importance a rapidement été consacrée par l’adoption de mécanismes contentieux spécifiques, permettant de garantir la prise en compte de l’environnement dans la mise en oeuvre des projets. Ainsi, afin d’éviter qu’un projet ne soit mis en oeuvre en violation de l’obligation d’étude d’impact, le législateur a mis en place, en 2000, une procédure de référé facilitant la suspension d’une décision administrative lorsque une étude d’impact, exigée par la réglementation, n’a pas été réalisée (article L.122-2 du code de l’environnement). Cette procédure a été étendue par la loi Grenelle II aux évaluations environnementales des plans et programmes, avec la création de l’article L.122-12.

Le Grenelle de l’environnement a également été l’occasion d’un grand bouleversement du cadre juridique applicable aux évaluations environnementales et aux études d’impact, avec la mise en place de la procédure de cas par cas. Dans le cadre de cette procédure, l’autorité environnementale décide si un projet, un plan ou un programme est soumis ou non à la réalisation d’une étude d’impact ou d’une évaluation environnementale, en prenant en compte les caractéristiques du projet ou du plan, celles de la zone concernée et l’impact qu’il est susceptible d’avoir sur l’environnement. Cette nouvelle procédure constitue un moyen d’adapter l’exigence d’évaluation aux circonstances locales, et une voie intermédiaire entre l’obligation systématique de réaliser une évaluation et son exemption.

Le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 19 juin 2015 (n°386291) , vient de préciser l’office du juge des référés dans le cadre de l’article L.122-12 du code de l’environnement, lorsqu’un plan ou programme a été exempté de réalisation d’une évaluation environnementale par l’autorité environnementale saisie dans le cadre de la procédure de cas par cas. En l’espèce, l’autorité environnementale avait jugé que la modification d’un schéma départemental des carrières n’avait pas à être soumis à évaluation environnementale. Le Conseil d’Etat a estimé qu’ :

« il appartient au juge des référés, afin de déterminer si la demande qui lui est présentée sur ce fondement entre dans les prévisions de l’article L. 122-12 du code de l’environnement, d’apprécier si, en l’état de l’instruction et eu égard à la portée des modifications opérées, une évaluation environnementale était nécessaire ».

L’application de ce référé suspension propre aux évaluations environnementales était, auparavant, assez mécanique, et confortait l’adage selon lequel le juge des référés est le « juge de l’évidence ». Ainsi :

– soit l’évaluation environnementale exigée avait effectivement été réalisée, et la décision litigieuse ne pouvait être suspendue ;

– soit elle était exigée et n’avait pas été réalisée, et la décision devait être suspendue.

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat confirme que le cas par cas vient bouleverser l’appréciation de l’exigence d’évaluation environnementale, impliquant que le juge des référés développe une appréciation plus fine des enjeux en présence et de l’impact environnemental du plan ou programme concerné.

Pour les entités responsables de l’élaboration de ces plans et programmes, les leçons à tirer de l’arrêt du Conseil d’Etat peuvent être les suivantes :

– la décision de l’autorité environnementale exemptant le pétitionnaire de la réalisation d’une évaluation environnementale ne sécurise pas définitivement la procédure, le juge saisi pouvant apprécier différemment les éléments en présence ;

– le juge des référés ne réalise pas un examen aussi poussé que le Tribunal éventuellement saisi au fond, son appréciation se faisant en l’état d’une instruction dont la durée est nécessairement plus courte dans le cadre d’une procédure d’urgence ;

– le juge apprécie les éléments en présence en gardant à l’esprit que le principe posé par la législation est celui de la réalisation d’une évaluation environnementale (1), et son exemption constitue une exception ;

– dans le cadre de cette procédure spécifique de référé, il n’est aucunement nécessaire de prouver une condition d’urgence, à la différence de la procédure de référé-suspension de l’article L.521-2 du CJA , ce qui facilite l’exercice d’un recours par un tiers ayant intérêt à agir (association de protection de l’environnement notamment).

Par ailleurs, même si l’arrêt du Conseil d’Etat a été rendu sur le fondement de l’article L.122-12 du code de l’environnement, il ne fait aucun doute que la solution est transposable à la procédure applicable en matière d’étude d’impact, qui consacre un mécanisme de suspension similaire en tout point. Les porteurs de projet doivent donc, eux-aussi, intégrer les conséquences de cette jurisprudence sur le déroulement des procédures qu’ils mettent en oeuvre.

Dans le cadre du mécanisme de cas par cas, il reviendra aux pétitionnaires d’analyser si la réalisation d’une étude d’impact ou d’une évaluation environnementale apparaît opportune en fonction des enjeux écologiques en présence et en fonction de l’importance du projet ou du plan/programme en cause. La complémentarité entre l’expertise écologique et l’expertise juridique permettra de sécuriser au maximum les procédures mises en oeuvre. 

 

 

 

 


(1) Le pétitionnaire ne peut être exempté de la réalisation d’une évaluation environnementale que par un avis explicite de l’autorité environnementale. En effet, au titre de l’article R.122-18 III, l’absence de décision notifiée au terme d’un délai de 2 mois vaut obligation de réaliser une évaluation environnementale.

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AUTEUR

Aurélie Desbordes

Avocate associée

Passer du conflit au dialogue.

« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. » Georges Clemenceau (1841 - 1929)

Aurélie Desbordes a créé son propre cabinet et y a pratiqué tous types de contentieux avant de rejoindre l’équipe. Cette expérience l’a convaincue qu’aucune partie ne sortait jamais indemne d’une procédure judiciaire, gagnante ou perdante. Certifiée praticienne du Droit collaboratif, elle démontre tous les jours aux clients, ainsi qu’à leurs adversaires, qu’il est possible de résoudre un différend ensemble, tout en préservant les relations d’affaires : conserver un partenaire vaut mieux que gagner un ennemi.

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