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9 avril 2020 - Aurélie Desbordes

La faute inexcusable: définition et précisions


Qu’est ce que la faute inexcusable ?

La Cour de cassation, depuis 2002, pose comme principe qu’en « vertu du contrat de travail, l’employeur est tenu à l’égard du salarié d’une obligation de sécurité de résultat ; tout manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures propres à l’en préserver » (Cass. Soc., 28 févr. 2002, n° 99-18.389)

La faute inexcusable est donc une faute contractuelle puisque la Cour de Cassation la rattache au contrat de travail.

Toutefois, il appartient au préalable à la victime d’établir que :

⇒ L’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ;

⇒ L’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

La faute peut donc résulter d’une faute d’imprudence ou de négligence voir de la tolérance de pratique dangereuse.

Lorsque la preuve de ces deux conditions cumulatives est apportée, la faute inexcusable de l’employeur est reconnue.

 

Quelle est la procédure applicable ?

Selon l’article L452-4 du code de sécurité sociale : « A défaut d’accord amiable entre la caisse et la victime ou ses ayants droit d’une part, et l’employeur d’autre part, sur l’existence de la faute inexcusable reprochée à ce dernier, ainsi que sur le montant de la majoration et des indemnités mentionnées à l’article L. 452-3, il appartient à la juridiction de la sécurité sociale compétente, saisie par la victime ou ses ayants droit ou par la caisse primaire d’assurance maladie, d’en décider. La victime ou ses ayants droit doivent appeler la caisse en déclaration de jugement commun ou réciproquement. »

Le salarié victime ou ses ayants droit, peuvent obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et l’indemnisation y afférente, soit par la voie d’une procédure amiable soit par la voie d’une procédure contentieuse.

La victime peut introduire auprès de la caisse primaire d’assurance maladie une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur selon une procédure amiable, dite aussi de conciliation. Une réunion avec l’employeur sera alors organisée.

À l’issue de la procédure amiable, même en cas de non-conciliation, un procès-verbal est établi par la caisse primaire d’assurance maladie et signé par les parties présentes.

A défaut de conciliation, l’action en reconnaissance de la faute inexcusable est alors portée devant le pôle social du Tribunal judiciaire (ex tribunal des affaires de sécurité sociale).

Il est également demandé au tribunal de désigner un expert chargé d’évaluer les dommages et intérêts pour chaque poste de préjudice.

Si la faute inexcusable est reconnue, un médecin expert est désigné.

Il rendra alors un rapport sur la base duquel les parties pourront débattre. Le juge statuera ensuite et attribuera les dommages et intérêts qu’il appréciera.

 

Quid de la prescription ?

L’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur se prescrit par deux ans à compter :

⇒ Soit de la date de l’accident du travail,

⇒ Soit, en cas de maladie professionnelle, de la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle

⇒Soit de la cessation du paiement des indemnités journalières, (dans les faits, la date de consolidation des blessures).

(Article L 431-2 du Code de la Sécurité sociale).

Il faut noter que la prescription biennale est interrompue par l’exercice de l’action pénale qui peut être engagée pour les mêmes faits.

Cependant la Cour de cassation dans un arrêt du 17 décembre 2015 (14-29.830) a jugé que ni le dépôt d’une plainte entre les mains du procureur de la République ou auprès des services de la police, ni l’ouverture d’une enquête préliminaire par le procureur de la République ne constituent une cause interruptive de prescription.

 

Quelles sont les indemnités auxquelles peut prétendre le salarié victime ?

Le Code de la sécurité sociale prévoit des conséquences précises en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur :

⇒Une majoration de la rente allouée à la victime ou ses ayants droits (article L. 452-2 du code de sécurité sociale)

⇒Une indemnisation spécifique de certains préjudices (article L. 452-3 du code de sécurité sociale).

Il s’agit notamment du préjudice causé par les souffrances physiques et morales, les préjudices esthétiques et d’agrément, le préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

⇒La mise à la charge de l’employeur d’une cotisation supplémentaire. Lorsque la victime est atteinte d’un taux d’incapacité permanente de 100 %, elle bénéficie, au-delà de la majoration de rente, d’une indemnité forfaitaire égale au montant du salaire minimum pour le calcul des rentes ( Soc., 8 févr. 1996, n° 94-14.216)

⇒En outre, la Cour de cassation reconnaît à la victime la possibilité d’obtenir une réparation intégrale de son préjudice fondée sur le droit commun de la responsabilité civile, c’est-à-dire d’indemnisation des préjudices non couverts par le Code de la sécurité sociale ( 2e civ., 4 avr. 2012, n° 11-15.393). La victime peut ainsi demander à l’employeur une indemnisation au titre des frais d’aménagement de son logement, de son véhicule…

A noter que seuls peuvent demander la réparation de leur préjudice moral sur le fondement de la faute inexcusable de l’employeur, le conjoint, les ascendants et les descendants du salarié victime.

En revanche, les frères et sœurs de la victime ne peuvent y prétendre.

 

Quelles incidences en cas de saisine du juge pénal ?

L’employeur peut également être poursuivi devant le Tribunal correctionnel.

Trois infractions pénales principales peuvent être reprochées à un employeur après la survenance d’un accident de travail, selon le dommage subi par la victime :

⇒Homicide involontaire ;

⇒Atteinte à l’intégrité d’une personne ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois ;

⇒Atteinte à l’intégrité d’une personne ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée supérieure à trois mois.

Les sanctions attachées à ces infractions sont déterminées en fonction de la faute de l’employeur. En effet, trois fautes différentes peuvent être retenues :

⇒La faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, lorsque cette faute est la cause directe du dommage ;

⇒La faute caractérisée qui expose autrui à un risque d’une particulière gravité, risque que l’employeur ne pouvait ignorer, lorsque cette faute n’a pas causé directement le dommage ;

⇒La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, lorsque cette faute n’a pas causé directement le dommage.

Les sanctions principales sont alors les suivantes :

⇒Homicide involontaire en cas de faute d’imprudence ou de faute caractérisée : 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende ;

⇒Homicide involontaire en cas de faute délibérée : 5 ans d’emprisonnement et 75.000 € d’amende ;

⇒Atteinte à l’intégrité d’une personne ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée inférieure ou égale à trois mois : 1 an d’emprisonnement et 15.000 € d’amende ;

⇒Atteinte à l’intégrité d’une personne ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée supérieure à trois mois en cas de faute d’imprudence ou de faute caractérisée : 2 ans d’emprisonnement et 30.000 € d’amende ;

⇒Atteinte à l’intégrité d’une personne ayant entraîné une incapacité totale de travail d’une durée supérieure à trois mois en cas de faute délibérée : 3 ans d’emprisonnement et 45.000 € d’amende ;

Ces infractions et sanctions sont dirigées contre le dirigeant de l’entreprise, personne physique, et contre la société.

Lorsque les infractions sont dirigées contre la personne morale, les amendes sont quintuplées. En outre, des sanctions spécifiques peuvent être demandées, telles que la fermeture temporaire ou définitive de l’établissement.

 

Quid de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ?

Lorsqu’un accident du travail donne lieu à des poursuites pénales contre l’employeur pour non-respect des règles de sécurité, le principe de l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’applique aux actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur engagées devant le Pôle social du tribunal judiciaire.

Dès lors, le juge civil ne peut remettre en cause les points définitivement résolus par le juge répressif.

Par conséquent, si l’employeur est condamné par le juge pénal pour manquement à son obligation de sécurité et dès lors que cette condamnation est devenue définitive (c’est-à-dire non susceptible d’appel), cette qualification s’impose au juge civil. (Cass. 2e civ., 11 octobre 2018 n°17-18712)

La présomption de faute inexcusable devient alors irréfragable : on ne peut pas lui apporter de preuve contraire.

A contrario, une relaxe de l’employeur n’empêche en rien le juge civil de retenir l’existence d’une faute inexcusable.

Ainsi, le pôle social du tribunal judiciaire devra rechercher si les éléments du dossier lui permettent de caractériser la faute inexcusable de l’employeur.

Concernant la question de la réparation du préjudice devant le juge pénal, le salarié qui s’est constitué partie civile, ne pourra solliciter que le remboursement des frais engagés pour assurer sa défense devant le Tribunal (autrement dit les « frais d’avocat » prévus à l’article 475-1 du Code de procédure pénale).

Pour la fixation et le chiffrage de ses indemnités, il devra solliciter le renvoi de l’affaire devant le pôle social du Tribunal judiciaire qui désignera un médecin-expert.

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AUTEUR

Aurélie Desbordes

Avocate associée

Passer du conflit au dialogue.

« Il est plus facile de faire la guerre que la paix. » Georges Clemenceau (1841 - 1929)

Aurélie Desbordes a créé son propre cabinet et y a pratiqué tous types de contentieux avant de rejoindre l’équipe. Cette expérience l’a convaincue qu’aucune partie ne sortait jamais indemne d’une procédure judiciaire, gagnante ou perdante. Certifiée praticienne du Droit collaboratif, elle démontre tous les jours aux clients, ainsi qu’à leurs adversaires, qu’il est possible de résoudre un différend ensemble, tout en préservant les relations d’affaires : conserver un partenaire vaut mieux que gagner un ennemi.

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